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HISTOIRE DES JUIFS DE KAÏFENG

Par Jacques Leibovici

Juillet 2010

 

La présence de marchands juifs en Chine est attestée dès le 8ème siècle sous la dynastie des Tang (618 AD-906 AD).  Un document commercial perse, écrit avec des caractères hébraïques, daté de 718 et le texte d’une prière en hébreu, découverts à Khotan dans le Turkestan chinois, à l’ouest du Sin-Kiang, leur sont attribués.  De nombreuses statues et figurines en terre cuite les représentent en marchands nomades.

Les Chinois, qui, au début, les confondent plus ou moins avec les Musulmans, les appellent « les Musulmans bleus » à cause des rayures bleues qui ornent leur Talith ou « la Secte qui retire le nerf sciatique ».  Ils sont conscients de leurs pratiques culinaires spécifiques et en particulier de l’interdiction de consommer du porc.

Ces immigrés viennent de Mésopotamie par voie terrestre en suivant la « route de la soie » vers Xi’an ou par la voie maritime à partir de Basra pour aboutir à Guangzhou (Canton) entre autres destinations.

Lors d’une rébellion à Canton vers la fin du 9e siècle on parle du massacre de 120000 étrangers parmi lesquels des musulmans et des juifs.

Ils paraissent se sédentariser au 12e siècle à Kaifeng, suivant en cela le déplacement de la dynastie des Song de Xi’an vers la nouvelle capitale de l’empire, avec la construction d’une synagogue en 1163 « le Temple de la Pureté et de la Vérité » selon le style architectural d’un Temple chinois.  Celle-ci sera plusieurs fois détruite par des inondations du Fleuve Jaune, mais chaque fois reconstruite jusqu’à la moitié du 19e siècle (1850) où la communauté juive très assimilée et dans un dénuement extrême disparaîtra en grande partie.

Chaque fois que la synagogue est reconstruite (1489, 1512, 1663 et 1669) une stèle en chinois et en hébreu commémore l’événement et rappelle l’histoire de l’arrivée en Chine de cette communauté, ce qui n’est pas sans poser de problèmes à l’historien, car chaque nouvelle stèle situe cet événement chronologiquement de plus en plus tôt : outre l’hypothèse la plus vraisemblable d’une sédentarisation qui se situerait à l’époque des Song, fuyant les massacres perpétrés contre eux par les Musulmans ou lors des Croisades, certains émettent  l’idée qu’ils auraient pu venir après la destruction du second temple, à l’époque de la Dynastie des Han de l’Est, et d’autres mêmes, se basant sur l’information que les Juifs de Kaïfeng respectaient toutes les fêtes et les rites du canon juif à l’exception de Pourim, en concluent que leur immigration date de la destruction du premier temple dans la foulée des déportations imposées par Nabuchodonosor et donc qu’ils ne pouvaient connaître l’histoire d’Esther.

Au 13e siècle, Marco Polo et Jacob d’Ancône les citent sous la dynastie des Yuans.  Un siècle plus tard des décrets sont pris, ils taxent les ressortissants de religions monothéistes et les appellent à s’enrôler dans l’armée.

Environ un millier à l’époque des Song, qui les auraient invités à venir de Perse pour développer la filature, le tissage et la teinture du coton, leur nombre s’accroît pour atteindre plus de 5000 sous la Dynastie des Ming (1368-1644) qui décide de les identifier en ne les autorisant qu’à porter sept prénoms : Ai, Jin, Lao, Li, Sh’i, Zhang et Zhao.  Certains d’entre eux deviennent des officiers de haut rang dans l ‘armée impériale.  Bien plus tard des généalogistes pensent que le Président Liu Shao-Sh’i (1898-1969), évincé lors de la Révolution Culturelle, aurait pu être d’origine juive.

Une rencontre instructive montre toutefois le degré d’isolement de cette communauté.  En 1605 une réunion a lieu entre son chef, Ai Tian, et le Jésuite Matteo Ricci qui, ayant appris l’existence de cette communauté éloignée de tout contact avec le Judaïsme originel et donc n’ayant pas été « dévoyée » par la volonté de nier le caractère divin du Christ, pense retrouver dans leurs textes une attestation de son existence ; de son côté le chef de la communauté des Juifs de Kaïfeng pense lui qu’il va rencontrer un Juif d’Occident. Mis en présence d’une image de Marie et de Jésus, il pense reconnaître Rebecca et Jacob ou Esaü.  La déception sera grande de part et d’autre.

 

En 1724, l’empereur Qing, Yong Zheng, ferme le pays au prosélytisme étranger et la communauté juive est totalement isolée jusqu’au 18e siècle.  Elle disparaît au milieu du 19e siècle avec la mort de son dernier rabbin et une dernière inondation qui détruit sa synagogue. La communauté qui subsiste survit dans la misère et vend ses objets du culte à des missionnaires protestants.  Nous les avons retrouvés de nos jours dans des musées nord-américains : Bibliothèque Kalu de la Hebrew Union College de Cincinnati et Royal Ontario Museum de Toronto (ROM).  Les stèles sont conservées au Musée de Kaifeng.

Aujourd’hui, il ne resterait que moins de 300 de ces juifs (plus ou moins authentiques, bien que certains se penchent sur leurs origines).  On peut voir à Kaifeng, sous les ruines d’un hôpital datant du régime communiste, un puits qui aurait servi à alimenter en eau un bain rituel « Mikvé », et plus loin, une rue, dont le nom inscrit sur une plaque signifie « rue de l’enseignement de la Torah, Sud », qui conduit à une maison où sont affichées des « images pieuses ».

               

L’authenticité de ces reliques n’est pas assurée mais permet à la gardienne de cette maison d’accepter avec bonne grâce les offrandes de quelques dizaines de dollars que les touristes juifs laissent lors de leurs visites. 

D’autres communautés juives s’installeront en Chine bien plus tard, au 19e siècle, par exemple, à Harbin en Manchourie, fuyant la misère et les pogroms de Russie et, bien sûr, dans la très importante colonie juive de Shanghai, occupée par les Japonais lors de la seconde guerre mondiale, et seule ville à accepter sans visa les réfugiés juifs qui fuyaient le Nazisme, mais c’est une autre histoire.

Note : de nombreux livres traitent de l’histoire des Juifs de Kaifeng. Nous noterons parmi eux les très intéressantes études du Professeur XU XIN, fondateur de la Chaire des Etudes Judaïques à Nankin, qui, entre autres, a traduit l’Encyclopédie Judaïque en Chinois.

Juifs de Kaifeng rue du sud de la torah.
RUE DE L'ENSEIGNEMENT DE LA THORA - Sud de Kaïfeng
Juif de Kaifeng maison.jpg
MAISON TENUE PAR UNE JUIVE CHINOISE DE KAÏFENG
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PUIT SERVANT À ALIMENTER L'ANCIEN MIKVÉ
Juifs de Kaifeng Mezouza.jpg
MEZOUZA CHINOISE
Juif_Tang_modifié.jpg
SÉMITE,
NÉGOCIANT EN VIN
Reconnaissable à son bonnêt, sa barbe et l'outre de vin qu'il porte
Sans titre-6.jpg
JUIFS CHINOIS
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