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​REPORTAGES

Courts séjours en Chine

J’aime la Chine, j’aime sa civilisation, son histoire et par-dessus tout son art, sa peinture, ses chefs-d’œuvre archéologiques, ses poteries, céramiques et porcelaines.

 

J’aime la Chine, cela ne veut pas dire que je n’éprouve aucun intérêt ni affection pour d’autres cultures, mais mes relations sont différentes.  Avec ce pays ce n’est pas « je, nous », ni « tu, vous », c’est « ils ».  Ils ne font pas partie de ma culture ni ne sont des ennemis de ma civilisation.  Ils ne cherchent pas à me détruire, je ne cherche pas à les défendre.  En face d’eux, je suis égoïstement spectateur.

 

Quand je visite la Chine, ce qui m’est arrivé de nombreuses fois, à titre professionnel ou à titre privé, je suis heureux car je peux jeter un regard distancié sur ce qui m’entoure.  A titre professionnel j’avais bien sûr un objectif mais je connaissais parfaitement leur approche des problèmes et me donnais toujours le temps d’avoir le temps.  Je savais négocier à leur rythme.  

 

Bien sûr lorsque, lors des immenses banquets avec les Corporations chinoises, la Municipalité et l’entreprise qui nous recevaient, qui suivaient nos réunions, comme bien d’autres avant moi, je me ridiculisais à vouloir ânonner mon propre toast, « vive l’amitié franco-chinoise, la coopération entre votre groupe et ma société, le développement de la joint-venture pour la promotion de vos productions sous ma licence, pour nos bénéfices réciproques, … »,  en chinois, que j’avais tenté d’apprendre en quelques leçons rapides, et que je débitais lors de « Gambé », à votre santé-cul sec, que l’on se devait de faire  avec moult verres de Mou Taï, alcool blanc à 56 degrés, chaque fois que nous croisions le regard d’un Chinois dans la salle.

 

 Le but du jeu était, par ailleurs, de soûler l’autre et je peux vous garantir que les Français tenaient mieux l’alcool que les Chinois, question de chromosomes sans doute ou d’entraînement.

 

Je me suis d’ailleurs arrêté dans ces tentatives pitoyables de parler chinois, qui les faisaient bien rire, lorsqu’après un tel effort ils m’ont demandé d’avoir la gentillesse de bien vouloir traduire ce que je voulais dire en anglais pour que l’interprète officiel puisse retraduire mon discours en chinois compréhensible cette fois par les intéressés.

 

Ainsi, mon premier voyage date de 1982, six ans après la fin de la révolution culturelle, comme Conseiller des Etudes du Centre des Hautes Etudes de l’Armement, le pendant de l’IHEDN avec lequel il a fusionné depuis, sous la direction de la Délégation Générale à l’Armement.

 

C’était l’un des premiers voyages officiels de ce type où, sans risque, la France montrait sa sympathie pour l’Empire du Milieu.

 

Nos correspondants, l’armée populaire, nous avaient demandé de bien vouloir leur faire parvenir par avance un court curriculum vitæ pour savoir qui nous étions individuellement.  Ce fut l’objet d’un quiproquo qui me permit de bénéficier de faveurs indues.

 

J’étais à l’époque le fondateur et Directeur Général de la filiale fibres et transmissions optiques du Groupe C.G.E, l’actuel Alcatel, et par ignorance les Chinois ne retinrent que Général.  Je fus donc classé au quatrième rang de la Délégation, après le directeur du CHEAr, l’Ingénieur Général Assens, un Catalan au sens de l’humour débridé, le Contrôleur Général Fouché, un érudit bon vivant, et l’Amiral Corret.

 

Cela me valut pendant les trois semaines de notre séjour un traitement de faveur totalement injustifié, à faire pâlir de jalousie les autres membres de notre équipe.  Je devins l’ami du Général commandant la délégation chinoise, Jian Pingjiu, car j’avais alors trente-neuf ans et pour un Chinois de son âge - il approchait les quatre-vingt printemps - être général si jeune évoquait immanquablement chez lui le talent de Napoléon Bonaparte.

 

Sa principale distraction était de me raconter ses prouesses amoureuses de jeunesse.   Il précisait que maintenant il pouvait manger autant qu’il le voulait car grossir n’était pas un handicap puisqu’avec les filles il ne pouvait plus rien faire.  Mais par-dessus tout il prenait un malin plaisir à utiliser un vocabulaire précis et vert presque toujours obscène pour faire rougir la malheureuse interprète, une jeune fille de vingt ans, qu’il reprenait chaque fois qu’il jugeait que ses termes n’étaient pas traduits de manière assez descriptive. Il comprenait suffisamment le français pour la tancer.

 

Je dînais chaque soir, lors des banquets qui duraient trois heures, à la table d’honneur où l’ordinaire, amélioré par rapport au reste de l ‘assemblée, tenait de la haute gastronomie chinoise.  On nous accordait tous nos caprices, monter sur la scène de l’opéra après le spectacle pour nous congratuler, haranguer les spectateurs et embrasser les acteurs, tous des hommes malheureusement.

 

Je fus assis pendant tout le séjour entre le chef du protocole et le chef de la sécurité qui me servaient tour à tour, non pas ce que j’aimais, mais ce qu’ils aimaient bien eux-mêmes dans l’espoir que je leur servirais en retour de ces mêmes plats en abondance.

 

Oh, l’horreur de la salade de méduses !  Pire encore, les limaces ou concombres de mer, je me souviens encore de leur nom en chinois, « heizen » !  Mais nous buvions beaucoup ce qui nous permettait d’avaler la rude cuisine chinoise, si différente des sages restaurants chinois occidentalisés en France ou aux Etats-Unis.

 

Je peux vous l’affirmer, les membres de la Délégation Générale à l’Armement tiennent bien l’alcool, alors qu’il n’en était pas de même de nos amis de l’armée populaire.  Quand ils se sentaient trop malades, ils quittaient tout simplement la table pendant trois quarts d’heure ou une heure avant de réapparaître dessoûlés, frais et dispos.  Quand nous demandions où l’absent était parti, la réponse était invariablement qu’il était parti téléphoner.  Effectivement, compte tenu du nombre de lignes téléphoniques en Chine à cette époque, il était facile de comprendre que cela prenait tant de temps.  Ne jamais perdre la face !

 

J’avais baptisé le chef de la sécurité Tarzan, car l’homme singe avait oublié de se laver pendant trois semaines et cela se sentait, mais l’hygiène est un luxe de pays riches, et le chef du protocole Eichmann, car je l’imaginais volontiers faire fusiller quelques dissidents à chaque petit déjeuner.  L’époque de Mao n’était pas encore totalement révolue.

 

Nous visitâmes la Chine d’ouest en est, du nord, en Mandchourie, au sud, dans le Guangdong.  Nous assistâmes à de grandes manœuvres terrestres, aériennes et maritimes, remake de films à grand spectacle, style batailles de la guerre 14-18 revues par Cécil B. de Mille, où, avec arrogance, je jouais l’un des rôles principaux dans une troupe de clowns qui ne pensait qu’à s’amuser.

 

Je retournais quelques années plus tard, en décembre, dans les brumes du Sichuan, à titre professionnel, pour leur vendre une usine de batteries clefs en main.  Nous étions trop chers comparés à la concurrence japonaise et pour nous distraire, par quinze degrés en dessous de zéro, nos amis décidèrent de nous emmener faire un concours de tir à la carabine dans un parc protégé par une statue en porcelaine de deux mètres de haut, une Guanyin, déesse associée à la compassion, à cinquante kilomètres de Chongqing sur le fleuve Yangtsé.

Je ne m’en tirais pas trop mal, en tous cas mieux que nos hôtes, c’est alors qu’ils décidèrent de remplacer les balles de mon arme par des balles à blanc.  Ils avaient sauvé la face !

 

D’usine, nous n'en construisîmes jamais, il faut dire qu’ils transportaient, entre les ateliers situés à flanc de collines, les batteries sur des balanciers en bambou portés à épaule d’hommes dont les plateaux pesaient chacun dans les trente kilos.  En dépit de cette charge, les malheureux ouvriers grimpaient et descendaient des centaines de marches.  Courageuse fourmilière chinoise !

 

Quelques années plus tard, lors d’une visite à Changzhou, à une centaine de kilomètres au nord de Suzhou, le long du Grand Canal, je fus responsable, bien involontairement, d’une scène pénible de licenciement d’une ouvrière.

 

Nous recherchions des sous-traitants pour fabriquer des antennes de transmission utilisées dans les réseaux de télécommunications mobiles que la société du groupe Alcatel que je dirigeais fabriquait.

 

Nous nous promenions le long des chaînes de montage de cette usine lorsque je remarquai une ouvrière complètement avachie sur son établi. J’en fis la remarque amusée à l’un de mes collaborateurs en lui donnant un coup de coude que j’avais voulu discret, mais qui fut malencontreusement remarqué par le directeur de l’établissement.  Le soir, au moment des adieux, il convoqua la malheureuse ouvrière fautive et devant nous, après un discours édifiant, la licencia pour nous montrer qu’il dirigeait son entreprise d’une main de fer.  J’espérais là aussi, sans en être absolument sûr, que c’était du cinéma.

 

La fin de la journée continua d’ailleurs dans ce style ubuesque.  Nous étions à douze kilomètres du fleuve Yangtze et il nous restait deux heures avant le banquet du soir à la Mairie.  Je leur avais fait comprendre que je souhaitais me détendre et faire un saut au bord du fleuve, mais ils en avaient décidé autrement et nous passâmes le temps libre à écouter leurs explications dans une friche marécageuse de plusieurs centaines d’hectares où serait construite, dans les années à venir, une immense cité technologique où ils nous conseillaient vivement d’investir, ce qui était à cet instant le cadet de nos soucis.

 

 Ma famille et mes amis ont toujours pensé que les voyages d’affaires n’étaient qu’une partie de plaisir !

 

Le soir, lors du traditionnel banquet, en présence de tous les notables de la ville, le même directeur de l’établissement que nous avions visité la journée, au beau milieu du repas se leva, demanda d’interrompre les conversations et solennellement déclara  qu’il déléguait ses responsabilités de boire de l’alcool pendant les toasts, les fameux « Gambé », à son adjoint car il était diabétique et qu’il ne voulait pas que nous en fussions privés par sa faute car, selon lui, s’il continuait à boire personnellement il risquait d’en mourir séance tenante.  Bien sûr, soulagés nous nous remîmes à boire sans remords.  Une fois de plus, la face était sauvée !

 

Lorsque je visite ce pays à titre personnel, je suis parfaitement à l’aise, je ne suis pas vraiment partie prenante de leurs problèmes, de leurs souffrances et de leurs joies, même si j’ai la correction de m’y intéresser.  Je suis juste un sympathisant qui le montre sans complexe.  Leur civilisation ne m’agresse pas, je ne la combats pas, mais je ne me lance dans aucune croisade pour la défendre non plus.

 

Après quelques jours d’adaptation, à chaque voyage, je deviens d’abord soucieux de mon confort et de ma « survie » dans les conditions les meilleures possibles lorsque je sors des circuits touristiques traditionnels.

 

La Chine profonde peut rester rude pour un occidental aseptisé et, lorsque l’on sort des hôtels cinq étoiles, point n’est besoin de comprendre le chinois pour repérer les toilettes, l’odeur suffit.

 

Mais surtout ne rien rater, ne rien manquer de ce qui peut être vu, de ce qui peut être visité.

 

Alors, suis-je juste un touriste voyeur comme des millions d’autres qui sillonnent la Chine, devenue destination à la mode ?  Cela me vexerait de me limiter à cela.

 

Dire que je suis un ami de la Chine serait peut-être une vue superficielle de la réalité, si ce n’est que j’y ai individuellement des amis, que j’aime y aller et partager leur art et leur histoire que j’ai étudiés de manière assez approfondie.

 

Me prendre pour un érudit au fait des choses de l’Empire du Milieu serait aussi présomptueux, cela ne m'a pas empêché de tenter d'écrire la biographie romancée d'un peintre, T'ang Yin, de l'école de Suzhou qui vécut pendant la Dynastie Ming, peu connu en Europe, ses rouleaux se vendent aux enchères à New-York et à Hongkong plusieurs centaines de milliers de US dollars.

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