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EXECUTION 

(1960)

 

Y.. était le prince d’un état où une révolution avait éclaté.  Une révolution, pourquoi ?

 

Il lui semblait n’en n’avoir jamais rien su.  Il se sentait seul et paisible.  Le palais avait été déserté, aussi avait-il décidé de disparaître lui aussi et finalement de se fondre à son tour dans le peuple …

 

Il traversa la cour intérieure de sa somptueuse résidence et atteint les grilles qui entouraient le jardin.  Elles étaient entrouvertes, il les franchit sans encombre et d’un léger saut dépassa le talus qui le séparait de l’allée centrale.  Celle-ci, tracée au cordeau, était recouverte d’un gravier blanc que le soleil d’automne réchauffait encore. Y.. ressentait un grand bien être, il haïssait le froid.

 

Il avançait d’un pas tranquille quand il aperçût un groupe d’hommes qui venaient à sa rencontre.  Saisi par un sombre pressentiment il frissonna.  Il pensait continuer sa route et les croiser en les saluant bien poliment comme si de rien n’était, mais il comprit vite qu’il était l’objet de leurs recherches.

Ils progressaient vers lui menaçants et Y.. fut refoulé dans la cour intérieure et entouré.

 

Des hommes aux visages durs et aux mâchoires lourdes se pressaient contre lui comme pour lui imposer leur victoire par la puissance de leurs corps.

 

« Vous êtes le Prince, lui assurent-ils, nous allons vous tuer ».  Y.. ne fut pas surpris, il se serait même étonné de toute autre déclaration.

 

Ils le renversèrent et l’allongèrent sur le sable tiède de la cour.  Y.. ne résistait pas, son esprit se bornait à enregistrer les sensations du moment.  Puis ils s’éloignèrent pour parlementer entre eux.

 

Y.. n’entendait pas distinctement leur conversation, mais comprenait aux éclats de voix que la discussion était violente.

Quelques instants après ils revinrent en nombre vers lui et deux hommes s’allongèrent à ses côtés contre lui pour le maintenir immobile.  Un troisième s’agenouilla derrière sa tête et sortit un couteau effilé, un couteau de boucher sans doute, et s’apprêta à l’enfoncer dans son flanc droit.

 

Y.. eut un sursaut, l’homme retira immédiatement le couteau.

 

L’atmosphère était devenue tendue et une grande gêne planait sur l’assistance quand le Prince osa demander les raisons d’une pratique aussi étrange, car, enfin, il ne comprenait pas pourquoi, puisqu’ils avaient décidé de l’assassiner, il insista sur ce mot, on lui portait un coup de poignard à droite et non à gauche en plein cœur, comme normalement ils auraient dû s’ils voulaient que celui-ci fût mortel.

 

Les visages de ces hommes du peuple avaient perdu leurs aspects durs et rébarbatifs.  Ils étaient franchement tristes et étonnés.  Ils se dévisageaient les uns et les autres comme si aucun d’eux n’osait prendre sur lui de fournir l’explication de ce qui leur paraissait aller de soi.  Enfin l’un d’entre eux se décida, il fallait en finir.

 

« Nous sommes la révolution, dit-il, et la révolution est pauvre.  Nous n’avons comme armes que celles que nous créons.  Ce poignard, comme vous pouvez l’observer, n’est en fait qu’un couteau de boucher tout ce qui a plus de quelconque.  Nous devons nous entraîner et donc l’essayer là où la blessure ne sera point instantanément mortelle avant de vous tuer réellement, ainsi nous serons surs que le coup sera bien porté ».

 

Cela étant dit, il enfonça de nouveau le couteau jusqu’à la garde dans le corps de Y.., toujours du mauvais côté.  Celui-ci ne souffrait pas excessivement et jugeait leurs explications valables.

Quand ils eurent retiré l’arme, Y.. eut envie de bouger mais il n’y arrivait pas, il se sentait trop faible.  Il était comme cloué au sol.

 

Les hommes s’étaient relevés et se concertaient.  L’expérience avait réussi, semblait-il.  Alors ils reprirent la même position et commencèrent à lui enfoncer le couteau dans le cœur cette fois tout en le tournant sur lui-même pour bien parachever le travail.

 

Y.. s’aperçut qu’il tremblait, il n’avait pas peur, question de nerf pensa-t-il. Le soleil réchauffait encore son corps engourdi.

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